PINETON de CHAMBRUN, Gilbert, Pierre, Charles, Emmanuel

Né le 2 novembre 1909 à Paris (7e) ; chef régional des FFI du Languedoc (sous le pseudo de Carrel), député progressiste de la Lozère de 1945 à 1955, ministre plénipotentiaire, directeur des Conventions administratives et des Affaires consulaires.

Le père de Gilbert de Chambrun, le marquis Pierre de Chambrun , était un homme d’expérience, parlementaire depuis 1898. Ce sénateur fut l’un des « quatre-vingts », en juillet 1940. Élu de la Lozère, Pierre de Chambrun avait rejoint les Indépendants de gauche en 1933, puis s’était déclaré non inscrit. Il disait en 1940 de son vote bleu : Pourquoi jeter les armes de la liberté ? Pourquoi jeter encore de nouvelles armes aux pieds de l’Allemagne ? Son fils Gilbert avait alors trente et un ans. Au cœur de leur fief de Marvejols, en Lozère, père et fils animèrent la résistance face à ceux qui avaient détruit la République et aux occupants allemands. Ils ne cherchèrent pas à échapper aux rudesses et aux dangers des années noires, alors que cela leur eût été facile puisque, descendants du marquis de La Fayette, les De Chambrun avaient, de jure, la nationalité américaine. Le père et le fils ont pu être considérés dans leur milieu aristocratique comme des non-conformistes : le sénateur avait évité tous les excès du nationalisme en prenant parti pour l’innocence du capitaine Dreyfus et en reconnaissant plus tard les efforts de paix de la république allemande de Weimar. Gilbert de Chambrun fut lui aussi un esprit libre mais les circonstances – la guerre, la Résistance-, l’amenèrent à des engagements plus singuliers que ceux de son père.

C’est à Paris qu’il fit des études réussies : secondaires au lycée Janson, supérieures à l’École libre des Sciences politiques et à la faculté de Droit. Il put observer les comportements des jeunes gens d’Action française, et il ne partagea jamais leur rejet du parlementarisme et de la démocratie. Il était présent en simple témoin sur les lieux de la manifestation du 6 février 1934 à Paris. C’était l’époque où il préparait le concours des Affaires étrangères : le 4 juin, une brillante troisième place lui valut pour premier poste celui d’attaché d’ambassade près le Saint-Siège. À Rome, il découvrit le régime fasciste : un modèle pour la droite française. Il se lia avec deux antifascistes italiens, l’historien Alberto Cappa et l’archéologue Umberto Zanotti-Bianco. Il regagna ensuite la France et l’administration centrale où il fut nommé à la direction Europe du Quai d’Orsay. Quand se posa le problème d’une éventuelle intervention en Espagne, il fut de ceux qui la préconisaient.

En octobre 1939, il fut affecté avec le grade de lieutenant dans la 6e compagnie du 13e Régiment d’Infanterie près d’Hazebrouck : une compagnie intégrée dans la 7° armée du général Giraud. Il combattit en Belgique jusqu’au 17 mai 1940. Il réussit à embarquer à Dunkerque pour l’Angleterre mais revint en France. Son comportement au combat lui valut trois citations. Renvoyé à la vie civile, il travailla un an à Vichy au ministère des Affaires étrangères, de juillet 1940 à juillet 1941. Il avait en charge les Affaires d’Angleterre. Mais il n’avait pas prêté serment à Pétain et sa réputation d’anglophilie le desservait. Le 25 juillet, il revint en Lozère et choisit de résister dans sa région. Il fournit des refuges à des juifs, chercha des contacts qui l’amenèrent à Combat au printemps de 1942, puis au commandement de l’Armée secrète en Lozère en décembre sous le pseudo de Carrel, avec la responsabilité des sabotages, de l’aide aux réfractaires au STO et de l’organisation, en février 1943, des premiers maquis de l’Armée Secrète. Il vivait dans la clandestinité, changeant fréquemment de domicile et d’identité. Henri Cordesse* le remplaça quand il fut chargé de l’organisation régionale du NAP et devint chef régional des MUR en juillet 1943. La préparation des comités de Libération qui commençait en octobre mit en contact de Chambrun et le Front National lors de la constitution du premier Comité Régional de la Libération. Après le débarquement en Normandie, de Chambrun fut appelé à abandonner la direction du CRL pour les fonctions de chef régional des FFI. Roubaud (dit Astier), le remplaça comme chef de région du MLN. Un conflit politique commença avec Missa et Noguères : les socialistes qui redoutaient la montée de l’influence communiste critiquaient les choix de De Chambrun aux diverses responsabilités et la fourniture d’armes aux maquis FTP. Astier et de Chambrun étaient favorables à une fusion avec le Front national. La tension était telle dans le directoire que les représentants de Franc-tireur et de Libération, tous deux socialistes, démissionnèrent. Les partisans de Gilbert de Chambrun les accusaient de tenter un noyautage du MLN par les socialistes. Le rassemblement des forces résistantes dans le MLN s’avéra donc impossible. Deux jours après le débarquement du 15 août en Provence, les maquis engagèrent le combat contre les colonnes allemandes. De Chambrun organisa les embuscades dans le haut pays. Roubaud le pressait de rejoindre Bounin à Montpellier. Il y entra à la tête des FFI le 27 août 1944 avec un projet révolutionnaire : « Nous ferons la révolution avec les communistes […] Ce sera une révolution totale ». Le général Chevance-Bertin le surnommait « le marquis rouge ». Le ministre de l’Intérieur d’Astier de la Vigerie, venu représenter le GPRF et soutenir le Commissaire de la République Jacques Bounin, officialisa le CRL. Les socialistes n’y avaient qu’un représentant, Missa. Il fallut donc rééquilibrer ce Comité. Ce fut fait en septembre avec neuf nouveaux membres dont Gilbert de Chambrun et son père, Jules Moch député de l’Hérault, Henri Noguères, député des Pyrénées-Orientales, ainsi que le député de l’Aude Léon Blum et celui de l’Hérault Vincent Badie, tous deux encore déportés en Allemagne. Mais jusqu’en décembre, le pouvoir de fait dans la région appartint aux FFI. Ils avaient constitué des milices patriotiques rétribuées qui procédaient à des réquisitions et à des arrestations. Les cours martiales FFI siégèrent à Montpellier et à Béziers jusqu’au 15 septembre. Elles prononcèrent 62 condamnations à mort suivies d’exécutions immédiates. À Béziers, le socialiste Malafosse qui présidait le CLL fut poussé à la démission après les accusations de collaboration économique lancées contre lui par le MLN régional, à l’instigation de Gilbert de Chambrun. Un communiste, Joseph Lazare, le remplaça. Jacques Bounin et le préfet Weiss éprouvaient les plus grandes difficultés à établir un pouvoir civil. Bounin eut l’habileté de convaincre les généraux de Lattre et Cochet (qui commandait les FFI de zone sud) de se rendre dans l’Hérault. Les milices patriotiques furent dissoutes le 28 octobre 1944. Malgré ce climat, les relations personnelles entre de Chambrun et Bounin restaient courtoises.
 
En 1993, quand parut l’ouvrage de Jean-Augustin Bailly sur la Libération, Gilbert de Chambrun réagit au texte sur « le règne du désordre » dont les FFI auraient été responsables dans l’Hérault en 1944. Son témoignage parut dans Études sur l’Hérault. Il justifiait la création et le rôle des Cours martiales et des Milices patriotiques. Il affirmait que « ces mesures avaient pour but de rétablir l’ordre républicain dans le respect de la primauté du pouvoir civil ». Il répondait aussi à une assertion de l’auteur qui voyait en lui un compagnon du parti communiste : « Je n’ai été communiste ni à cette époque, ni depuis. Si je l’avais été, je ne me renierais pas ». En 1944, le nouvel ambassadeur de France à Londres, Massigli proposa à de Chambrun de l’accompagner à Londres en tant que premier secrétaire. Il refusa. Il choisit d’aller combattre après avoir contribué à constituer avec les FFI de la première brigade du Languedoc le 80e RI incorporé en décembre à la Première armée, puis le 81e RI avec un deuxième régiment du Languedoc. Le colonel de Chambrun partit vers l’Alsace à la tête du 81e  le 25 décembre 1944. Le 15 janvier, le colonel Zeller lui écrivait : « Le bataillon de l’Aveyron ne tardera pas à vous rejoindre [ …] Tout se met peu à peu en place , grâce à l’impulsion que vous avez pu donner et dont je vous suis très reconnaissant ». Mais le général de Gaulle était décidé à le renvoyer à la diplomatie. Gilbert de Chambrun résistait et décida en février de rester sur le front en renonçant à son grade de colonel. Quand il reçut l’ordre de rejoindre le ministère des Affaires étrangères le 24 mars 1945, il désobéit et franchit le Rhin avec son unité. Jusqu’en avril 1945, il participa à la campagne d’Allemagne à la tête du 81e Régiment d’Infanterie. C’est pendant cette campagne qu’il épousa Jacqueline Retourné, médecin lieutenant dans le 81e R.I. À Rastadt, le 19 avril, il fut mis aux arrêts de forteresse sur ordre de De Lattre. Il resta aux arrêts à Strasbourg puis à St-Denis jusqu’au 30 mai et fut alors démobilisé avec le grade de commandant de réserve. Le cas de Gilbert de Chambrun illustre parfaitement les problèmes de l’amalgame entre FFI et armée régulière.

Le 21 octobre 1945, il fut élu député de la Lozère à l’Assemblée nationale constituante sur la liste Républicaine qui recueillit 21 641 voix sur 47 241 suffrages exprimés. La liste était précédée d’assez peu par celle du MRP qui avait obtenu 25 600 voix. Gilbert de Chambrun était inscrit dans le groupe parlementaire des Républicains et Résistants, apparenté au groupe communiste. Il était membre de deux commissions : Affaires étrangères et Ravitaillement. Il intervint le 16 janvier 1946 pour demander la rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement du général Franco et dit regretter de ne pas le voir « sur le banc d’infamie de Nuremberg ». Il vota les nationalisations et le projet de constitution de la IVe République. À la seconde Assemblée constituante où il avait été réélu le 2 juin 1946 sur une liste d’ Union des Républicains (17 017 suffrages exprimés sur 47 733), il participait à la commission des Affaires étrangères et à celle de la Presse. Le 28 septembre, il vota le projet de Constitution. Après avoir été élu aux législatives du 10 novembre 1946 avec 16 211 suffrages exprimés sur 46 138 il choisit de s’inscrire à un groupe apparenté aux communistes : le groupe d’Union républicaine et Résistante présidé par Emmanuel d’Astier de La Vigerie rencontré naguère à Montpellier. Pierre Cot et Félix Houphouët-Boigny en faisaient partie. Il réintégra les deux commissions auxquelles il appartenait précédemment, et entra de plus dans celle du Suffrage universel. Il fut désigné comme juré à la Haute Cour de Justice. Ses interventions ont témoigné de la continuité de ses convictions autant que de son intérêt naturel pour les questions de politique étrangère : il vota la confiance au cabinet Blum en décembre 1946. Et en novembre 1947, il fit un long exposé sur le droit du travail et déposa un amendement sur le respect de l’exercice du droit de grève. Il plaida à l’assemblée pour le maintien de l’alliance avec l’URSS et contre l’intégration de l’Allemagne au système économique occidental. Le 13 février 1948, il critiqua la soumission de la France aux exigences américaines lors de l’accord économique entre France et États-Unis. Le 7 juillet, il vota contre le plan Marshall et, un an plus tard, contre le statut du conseil de l’Europe et contre le Pacte atlantique.

Malgré l’instauration en mai 1951 du scrutin majoritaire à un tour et des apparentements réforme à laquelle il était opposé, il obtint en juin, à la tête de la liste d’Union des Républicains, des résultats comparables à ceux des précédentes consultations : 15 519 suffrages exprimés sur 44 447. Il s’inscrivit au groupe des Républicains progressistes, apparenté encore au groupe communiste. Il retrouva les commissions des Affaires étrangères et du suffrage universel. Fidèle à la mémoire de la Résistance, il déposa le 17 mars 1953 une proposition de loi visant à attribuer la croix de guerre aux prisonniers de guerre titulaires de la Médaille des évadés et de la carte de Combattant volontaire de la Résistance. Pendant toute cette législature, sa fidélité à sa ligne politique ne se démentit pas. Il s’opposa aux accords de Londres sur la fin de l’occupation de l’Allemagne en octobre 1954, et à ceux de Paris autorisant le réarmement de la RFA et son entrée dans l’OTAN le 29 décembre. Et il s’inquiétait des développements du nucléaire à des fins militaires : il déposa en 1952 un projet de loi qui visait à empêcher que les recherches nucléaires servent à la fabrication d’armes atomiques. Il n’est pas surprenant qu’il se soit montré défiant vis-à-vis de la construction européenne entamée à l’ouest. Il vota en décembre 1951 contre la ratification du traité sur la CECA et en août 1954 contre la CED.

Un autre grave problème du temps était la décolonisation : il s’exprima en octobre 1953 sur la question indochinoise pour « éviter qu’une guerre de sept ans ne se transforme en guerre de trente ans ». Il vota pour l’investiture de Pierre Mendès France le 17 juin 1954 ainsi que le 23 juillet pour les accords de Genève qui mettaient fin à la guerre. Mais un autre débat s’ouvrait sur l’Algérie. Gilbert de Chambrun fut l’un des 319 députés – communistes, MRP, modérés -, qui renversèrent le gouvernement de Mendès France en février 1955. La crise qui suivit décida Edgar Faure à dissoudre l’assemblée. Des élections anticipées eurent donc lieu le 2 janvier 1956. Elles mirent fin à la carrière parlementaire de Gilbert de Chambrun alors même que son électorat restait fidèle : la liste de l’Union des Républicains qu’il dirigeait recueillit 32,9% des voix. Lui-même avait obtenu 15 399 voix sur 44 803. Mais par le jeu des apparentements les deux sièges de la Lozère revinrent aux Indépendants et Paysans (13,9% des suffrages exprimés) et aux Républicains sociaux (20,7%). Son seul mandat – acquis dès 1953-, fut désormais municipal : à la tête de la mairie de Marvejols jusqu’en 1983. Sa carrière diplomatique se poursuivit à la Direction des Conventions administratives et des Affaires consulaires.

SOURCES :
Arch. dép. Hérault, 138W12, CRL ; Id. 137W17, CDL; Id. 138W21, rapports politiques. Préfet Weiss, 1944; Id. 138W6-7, CLL. — Gilbert de Chambrun, Journal d’un militaire d’occasion, avec une préface de Jean-Claude Richard, directeur de recherche au CNRS, Les Presses du Languedoc, Montpellier, 2000, 190 p. (réédition de l’ouvrage paru à Avignon en 1982). — Gilbert de Chambrun, « La libération de Montpellier, 1944, d’après les témoignages inédits d’Andrew Croft, François Rouan et Gilbert de Chambrun », in Études sur l’Hérault, nouvelle série, 9-1993, p. 59-72. — Gérard Bouladou, Les Maquis de la région de Montpellier, thèse d’État, Montpellier, 1974. —Jacques Bounin, Beaucoup d’imprudences, éditions Stock, 1974, 254 p. — Jacques-Augustin Bailly, La Libération confisquée. Le Languedoc 1944-1945, éditions Albin Michel, 1993, 481 p. — Hélène Chaubin, "L'Hérault", in Les Pouvoirs en France à la Libération, dir. P.Buton, J.M.Guillon, Belin, 1994,
p. 508-518. — Pierre Miquel, Les Quatre-vingts, Librairie Arthème Fayard, 1995, 323 p. — Jean Marielle et Jean Sagnes, Pour la République, le vote des quatre-vingts parlementaires du 10 juillet 1940, édité par le Comité en l’honneur des quatre-vingts parlementaires du 10 juillet 1940, avec le conseil général de l’Allier, 1992, 78 p. — Dictionnaire des Parlementaires, 1940-1958, tome 3. — La Résistance en Lozère, CD ROM, édité par l’AERI (Association pour des Études sur la Résistance intérieure), avril 2006.

Hélène Chaubin