CERNY Joseph, Louis
Né et mort à Narbonne (Aude), 8 février 1905, mort le 20 janvier 1967 à Narbonne ; instituteur ; militant syndicaliste ; militant socialiste, puis communiste, député communiste de l'Aude (1945-1947).



Son père, employé de banque devenu chef comptable, décédé en 1930, était catholique. Joseph Cerny, sorti de l'Ecole normale d'instituteurs de Carcassonne, promotion 1921-1924, effectua son service militaire en 1924-1925 dans une unité de pionniers d'Infanterie au Maroc. Entré comme soldat de deuxième classe, il termina son temps, le 8 novembre 1925, comme sous-lieutenant mais démissionna de ce grade pour protester contre le sabotage par Tardieu de la conférence du désarmement (1931).
Joseph Cerny enseigna successivement à Cucugnan, à Bages, puis à Narbonne, dans la nouvelle école Anatole France, où il se fixa de bonne heure. Il fut un des fondateurs du patronage laïque. Il se maria en juillet 1935 à Quimper (Finistère) avec Yvonne Le Borgne, institutrice (voir Yvonne Cerny). Le couple eut deux enfants.
Cerny, membre du Parti socialiste SFIO depuis 1929, fut, dans sa commune, secrétaire du comité électoral de Léon Blum. Animateur des Jeunesses socialistes locales avec Georges Guille*, mais pénétré de convictions profondément unitaires, il travailla, dans les années 1932-1936, au rapprochement entre son mouvement et les Jeunesses communistes. Il présida à l'époque du Front populaire de nombreux meetings et réunions communs. Il se rangeait dans la minorité de la fédération socialiste.
Avec une douzaine de militants d'extrême-gauche, notamment avec Jean Llante*, l'un des communistes narbonnais les plus actifs, Joseph Cerny participa, avant les cérémonies officielles du 11 novembre 1934, à une manifestation pacifiste et antimilitariste. Ils déposèrent au pied du monument aux Morts une gerbe portant l'inscription “Guerre à la guerre” et se heurtèrent à la gendarmerie et une section du 80e régiment d'Infanterie qui s'apprêtait à rendre les honneurs ; le capitaine de gendarmerie fut insulté et molesté tandis que retentissaient les cris “les soldats avec nous !”. Ces gestes, qui se plaçaient dans une ancienne tradition narbonnaise, avaient reçu l'approbation de la fraction la plus avancée des socialistes de la ville, en particulier de leur leader, Eugène Montel et des encouragements de l'Association républicaine des anciens combattants. Le conseil départemental de l’enseignement primaire avait été saisi d’une demande de révocation le concernant. Le 14 janvier 1935, après une séance d’une « violence inouïe » selon le secrétaire de la section du SNI René Azalbert*, il se prononça pour l’acquittement. Fort de cette première victoire, la campagne énergique du SNI se poursuivit pour obtenir le même résultat devant la Justice. Pour juger les treize inculpés du délit de propagande anarchiste et de provocations de militaires à la désobéissance, l’instruction relativement lente causa, selon un rapport du préfet, “un malaise certain auxéléments sains de la population”. Le jugement fut rendu par le tribunal correctionnel de Narbonne en mars 1935, en même temps que celui de quelques militants communistes qui avaient manifesté contre la loi de deux ans, à Coursan, le 7 novembre, jour du conseil de révision. Léon Blum, député de la circonscription, assura leur défense, plaidant l'incompétence du tribunal. Des pétitions, souvent fort irrévérencieuses pour les magistrats, avaient été diffusées en faveur des accusés. Les socialistes locaux organisèrent un meeting unitaire, le jour de l'audience, coïncidant avec l'anniversaire de la Commune de Narbonne. Les dirigeants du SNI témoignèrentà l’audience. Cerny et Llante furent condamnés à quinze jours de prison avec sursis tandis que des peines de trois et cinq mois s'abattaient sur deux communistes ; en mai, la cour d'appel de Montpellier porta leurs peinesà un mois. Cerny fut suspendu de ses fonctions pour une période de dix-huit mois avec maintien de son traitement. L’« affaire Cerny » avait contribué au rassemblement des énergies à la veille des élections. Joseph Cerny profita de son inactivité forcée pour participer activement à la campagne électorale de Léon Blum avec sa motocyclette et pour contribuer à la vie de son syndicat. Comme l’écrivit plus tard René Azalbert*, « la section de l’Aude avait eu un permanent payé par le gouvernement ». Le ministère de Front populaire le réintégra en juin 1936. Les marques d'hostilité données à la garnison de Narbonne par ses amis politiques avaient conduit l'autorité militaire à transférer le 80e RI à Metz, mesure ressentie par la municipalité comme une humiliation.
Élu en 1930 au conseil syndical - et sans doute au bureau - de la section audoise du Syndicat national (CGT), Cerny fut réélu régulièrement jusqu’à la guerre. Il avait animé la grève du 12 février 1934 à Narbonne. Candidat au conseil départemental de l'enseignement primaire, il fut élu, le 30 avril 1935, avec 306 voix sur 367 votants. Depuis juillet 1936, il présidait la commission d'éducation sociale dans la section du Syndicat national des instituteurs réunifié. Lors de la réunion du conseil syndical, le 6 octobre 1938, il désapprouva les accords de Munich et la position du SNI sur cette question. Il fut gréviste le 30 novembre 1938. Membre du comité de la Bourse du Travail depuis 1931, il était le trésorier- adjoint de l'Union départementale CGT de 1935 à la guerre.
Cerny dirigeait depuis 1934 le Comité antifasciste Amsterdam-Pleyel à Narbonne. De 1936 à 1939, avec les militants socialistes et ceux de la section départementale du SNI, il déploya une intense activité pour l'aide à la République espagnole. En outre, à Narbonne, Joseph Cerny présidait les Amis de l'Union soviétique et il avait effectué un voyage d'études de deux semaines en URSS organisé par le SN en août-septembre 1934 avec sa future épouse.
Mobilisé à Bourges, Cerny fut fait prisonnier le 23 mai 1940 près d'Auxy-le-Château (Pas-de-Calais). Il fut détenu dans plusieurs stalags successifs (Nuremberg, Wolstein en Pologne jusqu'en juillet 1940 d'où il s'évada deux fois mais fut repris à Villerupt par la police française, puis Stalag III C à Alt-Drewiz Küstrin jusqu'en septembre 1941, enfin Stalag III B à Fürstenberg-sur-l'Oder jusqu'au 10 juillet 1944. Travaillant dans une féculerie, il se livra à ces actions de sabotage à la fin de 1941. Infiltrée dans les services administratifs du camp, la Résistance était parvenue à le faire transférer au camp central à Fürstenberg-sur-l'Oder. Pour refus de travail et grève, il fut condamné à huit mois de compagnie disciplinaire. En juin 1944, le Parti communiste créa le Front patriotique du stalag. Militant de base, puis membre du comité directeur, responsable de baraque, puis secrétaire du parti, il prit la direction de la Résistance et organisa le Front au Stalag III B. Arrêté le 1er juillet 1944 avec des tracts qu’il eut le temps de mâcher, enfermé dans la prison du camp à partir du 1er juillet, transféré à la prison militaire de Berlin jusqu'au 27 juillet, condamné à la peine de mort, le 1er octobre 1944 par la Haute cour militaire du Reich, il fut incarcéré à la forteresse de Zinna à Torgau-sur-l'Elbe jusqu'au 30 octobre, puis transféré à Francfort jusqu'au 5 février 1945. Les Alliés détenaient un prisonnier de guerre allemand qu'ils avaient condamné à la peine de mort. Cerny resta en sursis d'exécution jusqu'à la Libération tandis que la Croix Rouge négociait l'échange des deux vies. Evacué à pied, il rejoignit le camp de travail de Gross-Beeren au sud de Berlin jusqu'au 11 mars 1945, puis fut ramené à Fort Zinna. Libéré, le 25 avril 1945, par les Alliés, il rentra en France le 10 mai 1945.
Cerny retrouva son poste d’instituteur à Narbonne. Il reprit aussitôt son activité politique et renouvela l'adhésion au Parti communiste français qu'il avait donnée en 1942, lors de sa détention en Allemagne. L'Humanité annonça son adhésion. Lors de la réunion du comité central, le 1er septembre 1945, la discussion porta sur ces transfuges du Parti socialiste et Victor Michaut* estima qu'il y avait des risques à "débaucher des militants socialistes". Joseph Cerny écrivit une lettre aux socialistes dans Le Travailleur du Languedoc (4 août 1945) : "je suis allé dans le parti où me poussent mon idéal révolutionnaire, ma philosophie politique et mon besoin d'action disciplinée et raisonnée. Je vous prie de ne pas voir en moi un adversaire. Vous restez toujours mes camarades socialistes (…) Je ne peux pas croire que le fossé qu'on maintient entre vous et moi ne se comblera pas bientôt et que nous ne nous retrouverons pas un jour proche dans le grand parti unique des travailleurs".
Membre du bureau fédéral du PCF de1945 à 1947, élu à l'Assemblée Constituante, le 21 octobre 1945, Joseph Cerny devint le premier député communiste de l'Aude. Son mandat fut renouvelé à la deuxième Assemblée Constituante (2 mai1946) et à la première Assemblée Nationale (novembre 1946). Il participa au stage des parlementaires en 1945-1946. Il intervint notamment auprès du gouvernement sur les questions du ravitaillement et de la reconstruction. Mais en mars 1947, très éprouvé par sa détention en Allemagne, Cerny démissionna, en accord avec le PCF, pour raisons de santé, remplacé par son co-listier Llante*. Cette démission provoqua des réactions diverses parmi les militants communistes, certains pensant qu’il pouvait y avoir eu une pression pour renforcer l’implantation de Llante dans l’Aude. Cerny reprit un temps son poste d'instituteur à l'école Anatole Franceà Narbonne.
Toujours membre du comité de la fédération communiste, Joseph Cerny ne fut pas réélu en 1954. Secrétaire de la section communiste de Narbonne depuis 1947, il assurait la responsabilité de secrétaire-adjoint de la section départementale de la FEN-CGT. Cerny avait été candidat du Mouvement unifié de la Renaissance française au Conseil général dans le canton de Narbonne, le 23 septembre 1945. Le 21 octobre 1947, élu conseiller municipal de Narbonne en première position sur la « liste communiste et d’union républicaine et résistante pour la renaissance de la France », il devint chef de file du groupe communiste de l'Hôtel de Ville. Malade, il ne brigua plus les suffrages desélecteurs en 1953, remplacé par sa femme Yvonne Cerny. Il continua toutefois à se consacrer aux sections narbonnaises du PCF et de l'Association France-URSS. Il était le vice-président et le président de l’association locale des anciens prisonniers de guerre, internés-déportés patriotes de la Résistance.
En mai 1954, très gravement malade, Joseph Cerny, toujours membre de la Libre Pensée, obtint sa mise à la retraite anticipée. Au cours d'une réunion de France-URSS, le 20 janvier 1967, il fut emporté par une crise cardiaque. Sur décision du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de la guerre, fut portée sur le registre d'état civil la mention "Mort pour la France". Son nom fut donné à une rue proche de l’école Anatole France à Narbonne.


SOURCES : Arch. Nat., F7/ 15482 B, dossier 1017.— Arch. Dép. Aude, 2 et 5 M. – Arch. com. Narbonne.— Archives du Comité national du PCF. — Presse syndicale. — Le Front des Barbelés, février 1967.— Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, notice rédigée par Robert Debant, Henri Dubief et Urbain Gibert (indiqué par erreur Gilbert). — Renseignements fournis par le fils de l’intéressé.


Jacques GIRAULT